Dans une décision qui soulèvent plusieurs enjeux applicables à notre situation locale, la Cour d'appel du Québec autorise un recours collectif de 50 millions $ contre le MTQ. Le recours est déposé par des citoyens de l'arrondissement de Charlesbourg, à Québec, qui se plaignent des troubles de voisinage, notamment, un excès de bruit, occasionnés par l'autoroute 73. Après de décennies de revendications citoyennes, le MTQ persiste a refuser de prendre de mesures pour atténuer le bruit qui empêche les riverains de l'autoroute de jouir paisiblement de leurs biens et provoquent aussi de problèmes de santé.
Plusieurs éléments de cette décision sont importants: d'abord, la Cour d'appel estime que le juge de première instance a erré en acceptant l'argument du MTQ voulant que le principe de l'immunité de l'État rendait le recours collectif irrecevable. Il est vrai que les tribunaux doivent faire preuve de déférence et laisser une marge de manœuvre à l'État à l'égard de décisions prises par lui à l'intérieur de la sphère politique, écrit le juge Gagnon de la Cour d'appel, mais la question de si la responsabilité civile de l'État puisse être engagée pour des troubles de voisinage occasionnés par une nuisance excessive est une question mixte de fait et de droit qui serait mieux traité par le juge de fond. (Rappelons qu'au stade d'autorisation d'un recours collectif, ce qu'on requiert est une apparence de droit: ainsi, seul les questions de droit sont traitées à cette étape.) Bref, on ouvre la porte: le MTQ pourrait être tenu responsable pour les dommages causés par son autoroute.
Ensuite, la Cour d'appel confirme que le MTQ est bel et bien un "voisin" au sens de l'article 976 du Code civil du Québec. Cela est signifiant, puisque le régime de responsabilité établi à cet article en est un sans faute. Cela signifie que la preuve de nuisance excessive - pas nécessairement facile à faire en soi - entraîne la responsabilité, et le propriétaire du terrain qui occasionne les nuisances ne peut pas en soustraire en démontrant une absence de faute ou une diligence raisonnable de sa part.
Finalement, le juge Gagnon de la Cour d'appel accepte l'apparence de droit de l'allégation des citoyens-requérants quant à la responsabilité avec faute (l'article 1457 CcQ). La faute imputée au MTQ est de ne pas avoir respecté l'article 19.1 de la Loi sur la qualité de l'environnement, qui stipule: "Toute personne a droit à la qualité de l'environnement, à sa protection et à la sauvegarde des espèces vivantes qui y habitent, dans la mesure prévue par la présente loi, les règlements, les ordonnances, les approbations et les autorisations délivrées en vertu de l'un ou l'autre des articles de la présente loi...". En l'espèce, les citoyens de l'arrondissement Charlesbourg reprochent au MTQ de ne pas respecter les niveaux acceptables de bruit sonore prévus dans les différentes politiques de planification issues du MTQ lui-même. De plus, les citoyens en rajoutent en alléguant que le MTQ serait en violation des articles 6 ("Toute personne a droit à la libre jouissance et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi) et 46.1 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne ("Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité"). Ces allégations amènent le juge Gagnon à écrire: "Les arguments tirés à partir du texte de la Loi sur la qualité de l'environnement et celui de la Charte droits et libertés de la personne ajoutent au poids des prétentions des appelants en ce qui a trait à l'apparence de droit requise au stade d'autorisation. Les allégations de la requête font voir en effet que le confort des appelants ainsi que leur environnement sont affectés par des inconvénients susceptibles de donner ouverture à l'application de ces lois".
Le juge Gagnon conclut sa décision sur une note forte intéressante, en rappelant au MTQ : "La protection de l'environnement est une responsabilité confiée à tous les citoyens, alors que le pouvoir public est appelé à jouer un rôle sans cesse grandissant dans ce secteur d'activité. La pollution par le bruit n'échappe pas à cette responsabilité."
Il sera extrêmement intéressant de voir l'issue de ce recours. Bien entendu, nous voyons de ressemblances importantes avec notre situation de "voisinage" avec le MTQ ici à Saint-Henri. Si les niveaux de bruit dépassent l'acceptable à Charlesbourg, ici c'est la question de qualité d'air qui est primordiale. Nous savons que pour ce qui des particules fines, nous sommes à 95% du niveau permis par la Loi sur la qualité de l'environnement. Comment ne pas conclure que le rajout d'au moins 30 000 voitures par jour ne ferait en sorte qu'on dépasse le limite légal? Cette décision de la Cour d'appel vient nous dire que, avenant un tel scénario, on pourrait exercer un recours contre le MTQ, et qu'un tel recours serait au moins recevable en droit. Ici, tout comme en Charlesbourg, le MTQ, en tant que propriétaire de la voirie de l'échangeur Turcot et l'autoroute Ville-Marie, est notre "voisin" est serait donc responsable pour tout trouble anormal de voisinage occasionné par ses installations. Démolition de logements, risques accrus de cancer et de maladies cardio-respiratoires: pourrait-on convaincre un tribunal que tels inconvénients constituent des nuisances excessives? Pourrait-on faire un lien de causalité entre ses nuisances et les installations du MTQ?
Avis aux avocats: nous sommes partants pour tenter le coup!